« En cette nouvelle année, on ne demande pas grand-chose : du travail et de la santé »
Albert Camus (1913 – 1960), écrivain, philosophe et journaliste français
Chers membres de la SFO, Chères et chers camarades,
Une nouvelle année mouvementée s’est achevée, et force est de constater que le coronavirus continue à dicter le rythme de notre vie. Depuis l’automne passé, le virus a de nouveau gagné du terrain et l’apparition du nouveau variant Omicron préoccupe nos autorités.
En décembre 2021, le Conseil fédéral a donc décidé de convoquer l’armée pour un nouveau service d’appui au profit des autorités civiles. Cet engagement sera assuré par 2500 militaires au maximum, qui apporteront leur soutien aux hôpitaux pour les soins et le transport de patients et aux cantons pour la vaccination. Il s’agit déjà de la troisième mobilisation de l’armée en deux ans.
Après les deux premiers engagements en service d’appui, l’appréciation du public sur le rôle de l’armée dans la gestion des crises a été majoritairement positive. Ainsi, l’enquête complémentaire à l’étude annuelle « sécurité » a révélé une satisfaction significativement plus élevée de la population à l’égard des prestations de l’armée et du système de milice, ainsi qu’un soutien croissant à l’égard d’un très bon équipement et instruction de l’armée. Mais dans quelle mesure la pandémie va-t-elle influencer durablement la perception de notre armée et son rôle dans la gestion des crises ? Et quel est l’impact de la pandémie sur le développement des forces armées européennes dans leur ensemble ?
Le problème central des forces armées « post-Corona » sera sans doute (à nouveau ou toujours) la baisse des budgets nationaux et les conflits de répartition qui en résultent entre les départements. En période d’incertitude économique, l’État - surtout s’il est libéral et démocratique - commence généralement par économiser sur l’armée. Comme lors de la Grande Dépression de 1929 et de la crise pétrolière de 1973, ce phénomène s’est récemment manifesté à la suite de la crise financière de 2008.
Indépendamment de la pression pour économiser - mais amplifiée par celle-ci - la crise de Corona entraînera également des conflits de répartition internes à l’armée. Même au sein du domaine central des profils d’engagement militaires « classiques », il existe un conflit entre la défense du territoire ou de l’alliance d’une part et les missions à l’étranger d’autre part. Leurs capacités sont en partie très spécifiques et parfois plus ou moins utiles pour des engagements subsidiaires. L’ampleur du défi posé aux forces armées par l’accent mis à l’avenir sur les engagements subsidiaires ne dépend donc pas seulement de leur situation financière, mais aussi de leur intégration conceptuelle et organisationnelle.
Les expériences de crise aiguisent le regard sur l’essentiel et favorisent la prise de conscience des risques. Pour les armées européennes, la crise de Corona ne représente donc pas seulement un défi, mais aussi une opportunité de se réancrer dans la société et la politique :
- La situation de pandémie - un scénario connu depuis longtemps, mais dont la portée a été refoulée jusqu’au dernier moment - révèle la vulnérabilité d’un ordre économique et social qui subordonne largement la résistance aux crises et la capacité d’adaptation à la maximisation de l’efficacité à court terme. En tant que réserves stratégiques dotées d’un haut degré de disponibilité et de flexibilité, les armées y jouent un rôle clé.
- Une préparation aux crises n’est pas bon marché mais elle est toujours rentable en cas d’urgence. Il faut accepter que la logique de marché de l’économie privée, orientée vers le court terme, ne s’applique pas universellement dans ce domaine. En 2005, l’armée suisse a cessé de produire de l’oxygène de manière autonome. En 2012, la Bundeswehrapotheke a arrêté une grande partie de sa production de médicaments et en 2013, le gouvernement français a fait détruire des millions de masques de protection. Pour des raisons d’efficacité, l’approvisionnement de ces biens critiques a été confié à des « tiers ». Au vu des coûts sanitaires et économiques actuels, les montants économisés à l’époque semblent tout à fait dérisoires.
- La crise ne se limite pas aux situations de pandémie. Aujourd’hui déjà, la crise de Corona n’est plus perçue en premier lieu comme une crise sanitaire. Ses dommages économiques et diplomatiques consécutifs ont le potentiel d’agir comme un catalyseur de conflits. Ce que sont aujourd’hui les masques de protection et les vaccins, pourraient être demain les systèmes de reconnaissance et de commandement pour la coordination de la police et de l’armée en cas d’évènement terroriste - ou justement les moyens de protéger de manière robuste les frontières nationales et l’espace aérien.
- La responsabilité de la prévention des crises incombe d’abord à chaque État. La coopération et la solidarité internationales complètent les mesures de protection nationales, mais ne les remplacent pas. De nombreux États se sont retrouvés temporairement livrés à eux-mêmes lors de la crise de Corona. Cette expérience fondamentale a renforcé en de nombreux endroits le soutien aux forces armées - non seulement en ce qui concerne leur contribution spécifique au service d’ordre et à l’aide en cas de catastrophe, mais aussi en ce qui concerne leur signification symbolique.
Au cours de la crise de Corona, des conséquences ambivalentes se dessinent donc pour la politique militaire. D’une part, les budgets de défense risquent de baisser et les attentes en matière d’engagements subsidiaires de s’accroître. D’un autre côté, la crise offre l’opportunité de consolider l’ancrage politique et social des forces armées - à condition que l’on parvienne à faire abstraction de la « pandémie » pour passer à un « cas de crise » plus général, et de la « défense nationale » à une « assurance de crise stratégique » plus globale. Saisissons donc cette opportunité !
Vive le Canton de Fribourg !
Vive l’Armée suisse !
Maj EMG Patrick Noger
Président de la Société fribourgeoise des officiers